Un carnet de bord au bord de l'eau
- louguillouard
- 6 avr. 2020
- 7 min de lecture
Il y a plus d'un an, je quittais le Sri Lanka pour rejoindre les îles fascinantes de l'archipel des Andaman. Au large de la Birmanie, ces îles indiennes isolées me fascinent car elles sont à la fois paradisiaques et mystérieuses, très peu touristiques, traditionnelles, sauvages, parfois désertes... Vous les connaissez peut-être pour les îles Sentinelles, peuplées de tribus qui n'ont jamais accepté le contact avec notre civilisation. Pour en lire plus sur les Sentinelles : ici ou là, et encore ici.
Mon ordinateur a été volé l'année dernière... J'ai donc perdu quasiment toutes mes photos et vidéos des Andamans, sauf celles de mon Iphone. Le paysage est trop impressionnant pour ne pas être illustré, même si j'aurais aimé que ce soit de meilleure qualité...

C'était pour moi le début d'un périple en solo de deux mois, j'y ai découvert -entre autres- une nouvelle façon de voyager, de loin l'une des expériences les plus enrichissantes de ma vie.
Dire que voyager seule à l'autre bout du monde, sans presque aucun contact avec sa famille est difficile, serait un euphémisme. Je ne m'attendais pas lorsque j'ai organisé ce périple à passer par toutes les couleurs de l'arc-en-ciel des émotions : angoisse, tristesse, regrets, puis euphorie, joie, pour finir sur un sentiment de plénitude...
Au début, je me sentais incroyablement seule car sur ces îles il n'y a ni wifi ni réseau, ne pouvant pas raconter au jour le jour mes péripéties à mes proches, j'ai commencé à écrire sur un carnet mes journées qui étaient riches en émotions. Ces mots sont bruts, authentiques, tels que je les écrivais tous les soirs ; je n'ai rien voulu changer car ma réalité, c'était ça ; car voyager seule pour moi n'était pas juste "apprendre à se connaître", c'était aussi se sentir faible, vulnérable.
J'ai tout de même rajouté quelques détails entre parenthèses pour contextualiser, éclaircir certaines phrases...
Quelques informations sur les îles Andamans (aka point culture gé)

Capital : Port Blair
Nombre d'îles dans l'archipel : 204 (dont une trentaine habitées)
Localisation : au large de la Birmanie.
Ethnies : cinq ethnies dont une complètement disparue (les Sentinelles, les Grand Andamanais, les Jarawa, les Onge, et les Jagil)
Iles principalement visitées par les touristes : Havelock et Neil.
Carnet de Bord
Jour 1
Arrivée à Port Blair à 13h00, panique dès 13h30 à la Jetty (littéralement la "jetée", sorte de port d'où partent les bâteaux-navettes) de Port Blair : plus de bâteau pour Havelock à ce jour. Il fait si chaud, j'étouffe.
Visite de l'office du tourisme, ça ne m'aide pas du tout.
Je monte dans un rickshaw : "D'abord, photo d'identité, ensuite Xerox (lieu pour faire des photocopies), ensuite carte SIM puis on trouve une chambre à la Haddo Jetty. 250 rps, ok? -ok."
Dans la sueur et le stress, après une heure de formalités on trouve une guesthouse -hors de prix mais bien placée-, je me balade sur la Haddo Jetty ,honte totale lors de l'achat de tampons.
Dîner de quelques tomates achetées au marché, tisane, pipi, les dents, au lit.
Panique : je ne peux pas retirer d'argent, je me retrouve à manger un repas par jour, divisé en trois.

Jour 2
Levée à 4h30 pour prendre le bateau en direction de Havelock.
Arrivée vers 10h30, sous le charme, la Jetty me fait une sacrée impression. Il fait chaud mais je suis au paradis, guesthouse qui pue mais bien placée et pas chère. Panique : je ne peux pas retirer d'argent, je me retrouve à manger un repas par jour, divisé en trois.
Visite de la plage pour me changer les idées décevante : eau turquoise mais polluée, un peu sale et rocheuse, eau très chaude mais surtout impossible de me poser. Je n'y trouve pas ma place. Je rentre à l'hôtel et y passe la soirée, j'y dîne mon reste de riz, me couche à 20h le cœur serré par la solitude, en espérant que demain sera un meilleur jour.
"Happiness only real when shared" tourne en boucle dans ma tête.

Jour 3 :
Après 12h de sommeil, je me réveille déterminée. Je loue un vélo pour aller sur d'autres plages. Après trente minutes de balade, découverte d'un plage superbe, je m'allonge et me noie dans mon livre qui devient mon refuge, remède anti-solitude. Dès 14h30, le soleil tombe et l'eau monte, je décide alors de rentrer sans voir l'heure et arrive très tôt à l'hôtel. J'ai pu contacté Maman, ma banque avait bloqué ma carte, mais ça y est, c'est réglé. Je suis soulagée.
Je me décide d'aller prendre un thé et rencontrer des gens. Je book une plongée pour le lendemain, enfin des interactions humaines ! J'écris et j'oublie tout.
Dîner d'halloween (cétait donc le 31 octobre) en face de ma cabane, super ambiance. Une suissesse qui voyage seule m'invite à sa table. Je passe la soirée avec elle, on échange nos numéros mais elle repart demain, je la reverrai en Suisse.
J'appréhende enfin la solitude qui devient quelque chose d'autre... Je suis tranquille.
Lors de mes premiers jours, j'avais une phrase en boucle dans la tête : "Happiness only real when shared". J'avais tord.

Jour 4 :
Réveil assez tôt pour la plongée, je suis aux anges. Plongée avec Sahil, jeune local sympa comme tout. On plonge soixante-cinq minutes, 9m6 au plus bas, poissons et coraux fabuleux, supers petits films sur ma gopro. Je n'ai plus peur !
Je passe la matinée avec Sahil, puis je me dirige vers la plage numéro 7 élue la plus belle plage d'Asie par le Time. Je suis au paradis. Je rencontre un couple de français, Bryan et Rodrick. Nous déjeunons ensemble et passons l'après-midi dans l'eau, nous parlons, rions, échangeons sur nos voyages respectifs. Un moment privilégié avec un coucher de soleil qui me fait monter les larmes aux yeux. Je rentre en stop pour retrouver Sahil, on échange nos photos, on passe la soirée à parler plongée, écologie, culture...
Je vais dîner seule, sereine, heureuse, les yeux pleins d'étoiles. Je n'ai plus envie de partir, j'ai enfin trouvé ma place.
Je fais mon sac et me couche.

Jour 5 :
Réveil tôt pour prendre le bateau. Triste de quitter Havelock, j'ai mal au ventre. Je quitte l'île la boule au ventre, difficile à expliquer ce que je ressens? Je fais un malaise dans le bateau, me fais arnaquer par un rickshaw mais je ne suis pas en état de négocier.
J'arrive au resort, contente de ma chambre mais la plage est sale et rocheuse, je ne peux absolument pas me baigner. Impression de déjà vu qui me prend aux tripes... Pas une nouvelle fois...
Je me dépêche d'aller louer un vélo pour trouver une autre plage. Je me rend compte que mon resort est au milieu de nul part. Frustrée, envie de vomir, je pleure sur mon vélo quand je me souviens que Sahil m'a parlé d'une amie, dans un centre de plongée, à droite de la Jetty. Je tente le tout pour le tout, j'y vais en chantant Edith Piaf pour me changer les idées.
Trouvée ! Je rencontre Neeti, petite dame de 28 ans adorable qui me fait un itinéraire des choses que je dois voir, elle m'offre un thé et on reste à discuter tout l'après-midi de mariages, des femmes dans la société indienne...
Je me rends à la plage et tombe sur un groupe de volontaires qui nettoient la plage, je me joins à eux. Dix sacs remplis de plastique plus tard, je vais manger un dosa dans un boui-boui, je crois faire un petit malaise mais je suis heureuse de la tournure de ma journée. Retour à vélo pour le coucher de soleil depuis mon hamac : je vais mieux, je suis apaisée, contente du calme et de la solitude que j'apprivoise peu à peu. Je ne me sens pas seule, je le suis simplement.
Je tombe né à né avec deux énormes cafards dans ma chambre, le cœur à mille à l'heure je vais chercher les mecs de l'hôtel qui se moquent de moi... Plus envie d'être dans ma chambre, je vais toquer à la cabane des voisins, on boit des coups . J'ai honteusement oublié leur prénom. Nous étions quatre, eux tous plongeurs. Je me couche heureuse, confiante, pas de réveil demain !

Jour 6 :
Avant dernier jour, dernier jour à Neil. Une pie toque à ma fenêtre et me réveille à 8h30. Journée chargée, direction le natural bridge puis sunset beach. J'y rencontre Monica, une Argentine de 60 ans à mourir de rire. Nous déjeunons ensemble. Je me délecte du moment sur sunset beach, ma playlist "chanson françaises" aux oreilles je regarde les nuages danser, des hirondelles m'offrent un spectacle incroyable. Envahie par le bonheur dans la lumière du soir.
Je croise un plongeur rencontré au cleanup d'hier , on dîne ensemble et parlons politique, j'ai appris tellement de choses.
Je n'ai pas lu depuis deux jours. Une petite victoire. Je me sens bien.

Jour 7 :
La pie revient toquer à ma fenêtre. Envie de la tuer. Réveil donc à 5h15. Je ne me sens pas bien, envie de vomir et crampes à l'estomac... Je devais aller voir le lever de soleil mais je me recouche. Je prends le ferry direction Port Blair, assise à côté d'une avocate de Delhi adorable, et son amie qui n'a as le droit de me parler car je suis étrangère et elle travaille pour l'armée (chelou). Elle m'offre un porte clé et nous sommes surclassées. Joie éphémère car la nausée me rattrape, elle m'accompagne, elle est décidément trop mignonne. Elles m'arrangent un chauffeur qui me fera visiter Port Blair. Je rencontre en visite deux québecois adorables, ils m'invitent à dîner au "dragon", je les y retrouverai. Vasu (mon chauffeur) et moi partons à la recherche d'une guesthouse, toute une épopée. On se rabat sur Kokari (celle bien placée mais hors de prix du premier jour).
Malgré la journée de transports qui m'attend demain, je ne suis pas stressée et me couche détendue ! Est-ce que je m'habituerais au solo travelling ?!
Je n'ai toujours pas lu.
Je regarde mes photos de la semaine. Les larmes me montent. C'était incroyable. Sentiment de gratitude, de chance.
Je pense avec émotion à tous ces gens rencontrés et espère les revoir un jour.

Le lendemain, je passais la journée dans les transports pour arriver à Auroville.
Commentaires