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LE MONDE SOUS MA LOUPE

Hashtag la vraie vie

  • Photo du rédacteur: louguillouard
    louguillouard
  • 23 août 2018
  • 7 min de lecture

On le sait : on nous le dit, on nous le répète, Instagram n'est pas la vraie vie.

Non seulement ce ne n'est pas la vraie vie car ce que l'on poste est finement et précisément choisi, du hashtag au filtre, analysé et parfois même mis en scène pour les plus dévoués à la cause; mais aussi parce que l'on y voit pas tout, seulement les parties les plus glamours -enviables, en somme- de notre vie.

Vous me diriez, bah oui, pourquoi je posterais les parties moins sympas et divertissantes sur les réseaux? Ce n'est pas faux, qui plus est c'est votre jardin secret, seul vous avez le droit et le pouvoir de dévoiler certaines facettes de votre vie.

La réelle question que je me suis posée est comment en sommes-nous arrivés à définir ce qui était intéressant et divertissant, bref instagramable? -vraie question, je ne connais pas la réponse- Au final, être actif sur les réseaux sociaux c'est renoncé à une partie de sa vie privée, quoi que l'on poste (toilet selfie ou photos de familles légendée avec arbre généalogique, c'est un degré différent mais ça reste une ouverture). C'est la rendre publique d'une certaine façon, alors pourquoi s'obstiner, au nom de la vie privée, à ne poster que ces tranches de nos vies qui rendraient jalouse n'importe quelle copine coincée à Paris pendant le mois d'août ? Parfois la vie s'impose à nous, pauvres païens, on peut perdre le contrôle, rater ses partiels ou son avion pour Punta Cana, manquer d'argent ou des gens...

Il est bien plus facile de contrôler l'idée que les gens ont de notre vie que notre vie en elle-même.

L'utilisation d'Instagram que l'on a aujourd'hui s'apparente plus à une thérapie qu'à un passe-temps, et autant voulons nous convaincre les autres que notre vie est cool, autant essayons-nous toujours un peu de nous convaincre -ou simplement se rassurer, je vous l'accorde- nous aussi que notre vie est cool.

Le serpent se mord la queue : Insta a planté une petite graine de doute, qu'elle a choyée et arrosée, elle a fait pleuvoir des stories, rayonner des posts toujours plus perfectionnés les uns que les autres. Silence, ça pousse.

Alors d'un coup, ce n'est plus seulement notre corps qui est scruté -comme si ça suffisait pas- c'est aussi nos relations amicales comme amoureuses, nos talents, nos voyages...bref, notre vie quoi. Après les #bodygoals, il n'est que naturel que les #lifegoals apparaissent. Globalement, Instagram est la vitrine de notre vie, quel genre d'être rationnel serions-nous si notre devanture n'intéressait pas le client? Ne l'invitait pas à y rentrer?

Oui, nous sommes des êtres rationnels, c'est le propre de l'humain, non? Êtres rationnels qui ont besoin de mesurer, d'évaluer, de quantifier. Mesdames et messieurs, accueillez alors l'outil ultime, l'engrais fatal : les likes. Outil de comparaison entre comptes mais aussi et surtout défini quelles photos privilégier pour atteindre la jackpot. Il est clair qu'une photo de mon oreiller, ça fait moins de likes que les photos sur la plage, alors j'en poste pas -et aussi parce qu'on s'en fout de mon oreiller, mais tu me diras si ma photo sur la plage t'as passionné...-

Trop souvent, cet outil quantificateur est confondu pour un outil qualificateur, auquel on accorde beaucoup -trop?- d'importance par rapport à ce qu'il reflète vraiment.

On se plie aux normes émergentes; comme un réflexe, une situation instagramable sera forcément instagramée. Bingo, à moi les likes. Instagram, c'est un peu comme le vide qui nous donne le vertige : on s'en méfie, on le fuit et pourtant on ne peut pas s'empêcher de s'en rapprocher, juste pour voir, jeter un petit oeil -coucou @alexisren- avant de s'y jeter corps et âmes.

Instagram en tant qu'application est souvent critiquée car "véhicule de mauvaises valeurs...une fausse image...des idéaux inateignables..." C'est une métonymie que l'on fait là, on confond le contenant et le contenu. En réalité, Instagram n'est que ce que l'on en a fait, et c'est de se dédouaner de sa part de responsabilité dans le processus que de dire "la faute à insta". L'outil peut blesser, mais sans utilisateur pour le mouvoir, il est inoffensif. Ce sont les utilisateurs, toi, moi, qui ont fait naître et perpétuer les mauvaises habitudes d'Insta en suivant ces comptes de meufs parfaites, en likant que certaines photos. On pourrait en avoir une toute autre utilisation, comme beaucoup de gens le font déjà d'ailleurs. Parce qu'en effet, Insta n'est pas la vraie vie, aussi parce que les comportements des utilisateurs sur la plateforme, ne sont pas ceux qu'ils ont dans la vraie vie.

Lorsque l'on poste nos photos de vacances qui font rêver, avons-nous une pensée émue pour nos copains/copines restés à Paris pour X raisons? En tout cas, moi, je suis coupable. Pourtant, j'adapte mon discours quand je leur parle directement, question de délicatesse et de compassion, je ne fanfaronne pas comme je pourrais le faire sur les réseaux. "C'est plus impersonnel je ne vise personne, c'est mon compte je fais ce que je veux, t'as qu'à pas regarder", des excuses en veux-tu, en-voilà. Finalement, foutre le seum pour foutre le seum, on le fait pas dans la vraie vie. Mais sur insta...

C'est ce plaisir coupable, presqu'inavouable, de se faire envier, jalouser, qui nous pousse à filtrer ce que l'on poste -autrement des photos de mes oreillers vous en boufferiez, hein. On a tous quelqu'un que l'on veut épater, parfois ce n'est qu'autre que le monde entier, parfois une personne en particulier.

Je me permets d'avoir des propos aussi durs et tranchés car j'écris tout ça avec un exemple bien précis derrière la tête : le mien. Je suis à la fois un pur produit d'Insta, tout en étant aussi parfois la victime, c'est là toute la complexité d'Instagram. Malheureusement, ce n'est pas si binaire -ceux qui font du mal, et les autres-, chaque utilisateur ajoute sa pierre à l'édifice.

Ce sentiment s'est déclenché lorsque j'étais au Rajasthan. Vers la fin du voyage, nous sommes restés dans un palace, première fois que j'étais confrontée à autant de luxe, ça nous a coûté un bras, en bonnes Tuches que nous sommes, on s'est senties obligées de le montrer. Pendant ces dix jours, je n'avais pas posté les conditions dans lesquelles j'étais restée qui étaient vraiment -mais vraiment- plus...rustiques, disons. (En couchsurfing, tu es très souvent à même le sol dans une maison à l'indienne, c'était parfait pour nous, tout ce que l'on voulait c'était d'être avec des locaux, mais je ne l'ai jamais posté sur les réseaux pour autant)

La réaction de mes amis proches m'a mis la puce à l'oreille, ils n'étaient pas contents pour moi comme moi je l'étais, ils étaient plutôt étonnés, pas très compréhensifs, et au fond je pense un peu blasés que je me la pète comme ça -ils ont eu bien raison d'ailleurs-. Je me suis demandée comment j'en suis arrivée là, moi qui suis d'habitude assez sensible à ce genre de choses, et surtout pas fana des posts à cette sauce que je peux voir sur les réseaux. Bref, je me suis sentie coupable assez rapidement, et je me suis rendue compte que c'était pas si simple de trouver un compromis entre être fidèle à la réalité et ne pas exposer toute sa vie.

"Moi, c'est différent, ça se voit que je ne suis pas à ma place ici, que je ne le prends pas au sérieux", me disais-je. Je me suis rendue compte que non, rien n'était différent. Du moins comment vous, de l'autre côté de la story, pourriez-vous le savoir? J'avais filtré tout le reste, toute la vraie vie, et je n'avais laissé paraître que cette partie sexy raffinée du voyage -la seule, soit dit en passant.-

Jusqu'ici beaucoup de miskineries, peu de solution.

  • Prendre conscience : Je pense que la première étape est d'en prendre conscience, d'essayer de prendre du recul sur ce que l'on poste, de le regarder dans la peau d'un public non-averti. Il n'est pas forcément simple de se rendre compte qu'une photo numérique, impalpable, postée dans une bulle à part, peut avoir un impact sur la vraie vie, sur les vrais gens. Se demander si l'image que l'on renvoie se rapproche de la réalité, ou pas. Avoir conscience que lorsque l'on post, l'utilisateur ne peut pas deviner le contexte (si tu postes une photo d'un yacht, je vois que tu es sur un yacht et pas autre chose, pas tout ce qui va qui rationaliserait l'expérience du yacht qui me fait baver)

  • S'ouvrir et utiliser le pouvoir du like pour faire changer les choses : On passe beaucoup, beaucoup de temps sur instagram; alors, si l'on est pas prêt à réduire notre temps sur l'application et donc d'exposition à ces photos parfaites qui nous mine le moral, essayer de diversifier les comptes que l'on suit. Il existe beaucoup de comptes avec un réel intérêt et valeur ajoutée, aussi bien artistique que culturel, portant sur l'actualité, engagé ou pas, ou juste une personnalité qui nous inspire. Je ferais sûrement un article avec mes comptes préférés bientôt, inch'. Arrêter de valoriser seulement les comptes comme @alexisren -au hasard- et se rincer l'oeil en suivant le compte de la NASA, de Nat Geo ou du New York Times Gender. Encourager les plus petits comptes avec un projet recherché grâce à notre petite voix, le like.

  • Accepter la transparence Ne pas poster les moments moins glam sur Insta, c'est aussi ne pas se montrer rabat-joie, râleur ou ingrat. Pour les utilisateurs, un post qui n'est pas tout rose, tout feu, tout flamme est souvent synonyme de plainte et ça nous gonfle (il suffit de regarder les influenceuses, dès qu'elles disent qu'elles sont fatiguées on leur dit" arrête de te plaindre, tu gagnes ta vie en sirotant des cocktails sur un rooftop"). Pourtant, on demande plus d'honnêteté et de sincérité sur les réseaux... Alors peut-être que c'est à nous aussi d'accepter que même les influenceuses sont fatiguées, pour aussi accepter que nous même on peut l'être et que l'on peut l'afficher sur les réseaux (pas au nom de la râlerie, mais juste de la transparence).

  • Avoir confiance Franchement, c'est très con, mais comment ne pas le rappeler? Aucune vie ne vaut mieux qu'une autre, pourquoi vouloir se lancer dans des comparaisons vaines, qui plus est, basée sur des posts biaisés? Lâcher prise de la compétition et se rappeler que nous sommes tous égaux sur un point : y a des merdes dans nos vies. Tous. Même à Ibiza, y a des merdes. C'est pas plus con que ce n'est difficile à appliquer, mais avoir confiance en qui on est, en notre entourage, en la beauté de notre plat raté... Surtout, ne jamais laisser Instagram remettre en question la qualité des moments que l'on vit, ils nous appartiennent et rien ni personne ne peut s'immiscer dans cette relation intime. Soyez jaloux d'un Instagram à la limite, de la qualité des photos, de la finesse des légendes, tant que cela vous pousse à faire mieux vous même : travaillez sur votre style, lisez Baudelaire, bref on se tire tous vers le haut et on kiff. Mais ne jamais confondre la qualité d'un feed avec la qualité d'une vie. Breaking news, il n'y a pas de corrélation.

Bref, on le sait : on nous le dit, on nous le répète, Instagram n'est pas la vraie vie. Mais on l'oublie.

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© 2018 par Milena Pasina (@milenapasina)

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